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Prises de positions

« La transition écologique doit s’inscrire dans le fonctionnement quotidien de l’administration et des services publics »

Tribune publiée dans Le Monde, le 6 juillet 2025.

Depuis plusieurs années, la transition écologique suit, en France, une trajectoire hésitante. A des décisions structurantes succèdent régulièrement des reculs ou des ralentissements. Récemment, la loi Climat et résilience, la création du secrétariat général à la planification écologique en 2022, le lancement du plan de transformation écologique de l’Etat se sont vus remis en cause par la suspension des zones à faibles émissions, le démantèlement progressif de l’objectif zéro artificialisation nette, le moratoire sur les énergies renouvelables et bien d’autres reculs.

Cette alternance est assez familière des politiques publiques, presque installée. Pourtant, dans le cadre de la transition écologique, elle entre chaque jour davantage en contradiction avec ce que les sciences de l’environnement nous indiquent et, plus encore, avec ce que la réalité physique nous impose. Le climat se réchauffe, les sécheresses s’intensifient, la perte de biodiversité menace notre agriculture, les inégalités socio-économiques face aux risques s’aggravent. Les politiques publiques qui ne s’adaptent pas sont déjà dépassées. Ce qui n’avance pas sera corrigé, non par sursaut politique, mais par les effets de plus en plus visibles de l’irréversibilité.

Dans ce contexte, la nomination d’un nouveau secrétaire général à la planification écologique (Augustin Augier, le 12 juin) représente une chance pour redonner du souffle à une ambition commune. Non pas en relançant un énième plan, mais en ancrant durablement la planification écologique dans le fonctionnement quotidien de l’administration et des services publics, sans qu’elle soit tributaire des crises, qu’elles soient politiques, géopolitiques ou budgétaires. Il ne s’agit plus seulement de piloter une stratégie à partir du centre, mais de permettre à chaque ministère et à chacune de ses directions, à chaque service déconcentré, de s’approprier ces objectifs et de les traduire dans ses pratiques.

Moyens concrets

Cette dynamique pourrait prendre appui sur des feuilles de route ministérielles adaptées aux spécificités de chaque grande famille de politiques publiques (finances, social, justice, etc.), déclinées ensuite en plans d’action par direction. Des experts de haut niveau chargés de la transition écologique pourraient être nommés au sein de chaque direction générale, comme c’est le cas à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et les équipes des hauts fonctionnaires au développement durable pourraient être renforcées pour coordonner les actions nécessaires. Tout cela n’aura de sens que si c’est accompagné de marges de manœuvre pour les échelons territoriaux et de moyens concrets pour les agents. La transition écologique ne peut se faire sans eux, mais lorsqu’ils tentent d’agir, ils se heurtent souvent à une organisation du travail qui reste pensée sur d’autres bases.

Des leviers efficaces existent. Equiper les agents de la DGCCRF pour qu’ils puissent contrôler l’écoconception des produits et détecter les allégations trompeuses. Permettre aux agents de la direction générale des finances publiques d’identifier les niches fiscales « brunes » (liées aux énergies fossiles), d’évaluer leur impact environnemental et d’éviter d’en créer de nouvelles. Soutenir les équipes de la direction générale de l’administration et de la fonction publique pour qu’elles puissent porter une politique de ressources humaines ambitieuse qui accompagne réellement l’intégration du dialogue social environnemental aux négociations collectives.

Outiller les acheteurs publics pour qu’ils fassent des choix pleinement compatibles avec la transition, en intégrant des critères environnementaux dans tous les marchés. Accompagner les services numériques de l’Etat dans la maîtrise de l’intelligence artificielle frugale et dans l’écoconception logicielle. Le ministère de la culture l’a fait en soutenant des initiatives artistiques écoresponsables, en encourageant les tournées bas carbone et en accompagnant les lieux culturels dans la réduction de leur empreinte.

Ces exemples ne sont pas des projections utopiques. Ils traduisent une réalité déjà présente, portée localement par des agents engagés, mais encore trop peu soutenus. Pour que ces initiatives changent d’échelle, il est indispensable qu’elles s’inscrivent dans un cadre porté par le secrétariat général à la planification écologique et construit au sein des ministères avec les agents. Pour amorcer les premières transformations, soutenir les expérimentations locales et sécuriser les engagements pris, il s’agit moins d’exiger davantage que de mieux outiller celles et ceux qui, chaque jour, cherchent à concilier les exigences de leur métier avec les réalités du monde qui change.

Pour tenir ses promesses, la planification écologique doit s’inscrire dans les politiques publiques ordinaires, dans les interstices de décision des services, dans les pratiques de travail des agents. Elle doit devenir une culture partagée qui fait de l’engagement environnemental une manière d’exercer sa mission, quel que soit son métier. Si cette ambition devient enfin collective, alors la transition ne sera plus l’affaire de quelques-uns, mais la trajectoire commune d’un Etat pleinement à la hauteur de son époque.

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