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Formation Prises de positions

« La vision de l’Etat doit être claire en matière de transition écologique et ses moyens être à la hauteur »

Tribune publiée dans Le Monde le 16 mai 2022.

Nous, collectif de fonctionnaires engagés pour une transition écologique, demandons à Emmanuel Macron de former et d’outiller les principaux élus du pays et les cadres dirigeants de la fonction publique en début de mandat, afin qu’ils prennent réellement conscience des enjeux et engagent enfin et véritablement notre pays dans une transition écologique, climatiquement soutenable et socialement juste, en cohérence avec l’accord de Paris de 2015 et les objectifs européens.

L’urgence est là, les solutions existent, martèlent les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour le climat et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) pour la biodiversité.

Trois volets de mesures nous paraissent urgents et nécessaires. Nous proposons l’organisation de plusieurs séminaires de sensibilisation et de travail sur la transition écologique, sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat, qui rassemblera pendant six jours un groupe composé d’élus (parlementaires, présidents de collectivités), de hauts fonctionnaires contribuant à la décision publique (directeurs généraux d’administration centrale et de collectivités, préfets, membres de cabinets ministériels), de représentants du monde économique et associatif et de citoyens tirés au sort.

Formation massive des hauts fonctionnaires

Le cadre pédagogique particulier de la convention citoyenne a montré son efficacité. La diversité du public permet les rencontres, les coconstructions, et aux services publics d’imaginer et de mettre en œuvre des politiques sectorielles et transversales cohérentes avec d’autres acteurs.

La formation massive des hauts fonctionnaires déjà en poste, en particulier ceux qui exercent des responsabilités importantes ou évoluent dans six ministères prioritaires (économie et industrie, agriculture, intérieur, travail, affaires sociales et santé, environnement), devra être mise en œuvre, notamment lors de changements de fonctions.

En formation initiale, le tronc commun institué pour les principales écoles de service public doit être un véritable temps de formation en équipe pluridisciplinaire et surtout interécoles, qui incite à la coopération et à la collaboration sur le terrain. Outre que le module consacré à l’environnement nécessite d’être pérennisé et inscrit dans le temps long, les sujets environnementaux doivent intégrer l’ensemble du cursus afin qu’ils ne soient jamais occultés.

Adapter le niveau national avec le local

En toute logique, une révision de tous les référentiels métiers et compétences des cadres A et A+ s’impose. Enfin, les épreuves de concours des principales écoles de service public doivent désormais vérifier comment le futur agent public intègre ces enjeux dans ses fonctions, à l’entrée et à la sortie d’école.

La transition écologique exige au niveau central comme local un engagement de chaque acteur et une coordination resserrée, dans le cadre d’une planification précise de l’action publique, garantissant à la fois le bon usage des ressources publiques et les synergies indispensables entre les différents acteurs publics. Ces responsabilités ne peuvent relever d’un seul ministère ou d’un seul niveau de collectivité, aussi puissants soient-ils.

Ainsi, la gouvernance de la transition écologique doit être adaptée :

  • au niveau national, faire du Commissariat Général au Développement Durable un vrai délégué interministériel (ce qu’il est officiellement mais avec un rôle encore trop formel), directement rattaché à Matignon, renforcer ses compétences en matière fiscale, financière et juridique (en lui transférant des emplois des autres ministères : Bercy, santé et intérieur). Nous proposons aussi de créer une nouvelle section du Conseil d’Etat consacrée à l’environnement ;
  • au niveau local, à travers une évolution de la posture de l’Etat territorial. L’Etat doit jouer un rôle de planification des investissements nécessaires à la transition écologique en concertation étroite avec les collectivités territoriales et les acteurs économiques. Il s’agirait, d’une part, d’un rôle d’impulsion, pour décliner des stratégies concrètes de production d’énergies renouvelables, de sobriété énergétique, de diminution de l’utilisation des pesticides, de rééquilibrage des productions alimentaires ; et, d’autre part, de jouer un rôle d’animation et de facilitation pour faire effet levier sur les initiatives locales. Cela rendra nécessaire un renforcement significatif des équipes et des compétences des services déconcentrés auprès des préfets.

Une démocratie moins verticale

En outre, ces politiques doivent se décliner dans un cadre à reconstruire, respectant la démocratie, moins verticale, résultat de la coconstruction entre les acteurs des territoires concernés. La relation entre les citoyens et la puissance publique doit évoluer pour ne pas bénéficier qu’aux secteurs les mieux organisés et disposant de lobbyings puissants.

Les administrations qui seront chargées de piloter les grandes transformations nécessaires dans le cadre de la planification écologique doivent disposer de moyens à la hauteur des enjeux (budget et agents publics), alors que les services de l’Etat chargés des questions environnementales, au sens large, ont connu des diminutions fortes d’effectifs depuis les années 2000.

Le mouvement actuel visant la « résilience » économique, énergétique et alimentaire (relocalisation d’activités, planification énergétique) ne pourra pas se faire avec les moyens actuels. La mise en œuvre des plans d’urgence et d’investissement successifs et leur pérennisation dans le temps rendent cet effort encore plus nécessaire, car ils détournent les équipes de l’Etat des enjeux d’avenir et diminuent les capacités d’animation territoriale.

La vision de l’Etat doit donc être claire en matière de transition écologique et ses moyens à la hauteur. Ses dirigeants auront une obligation de résultat face aux citoyens : un pays résilient face aux chocs à venir. Outillons les services publics afin qu’ils réussissent, anticipent et cessent d’être dépassés à chacune des crises traversées. Le chantier de la transition fera ainsi la démonstration de l’efficacité retrouvée de l’Etat, un nouveau moyen de revitaliser la démocratie, tout aussi indispensable.

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